Ces dernières décennies, les administrations communales ont été témoin d’un changement profond du domaine dans lequel elles sont actives. De plus en plus de tâches sont transférées vers le niveau communal. Les administrations communales doivent de plus en plus souvent intervenir dans des questions de gestion qui sont elles-mêmes de plus en plus complexes et requièrent une technicité de plus en plus importante.
Il est dès lors toujours plus difficile pour les communes d’exercer de façon autonome certaines de leurs missions. Beaucoup d’administrations locales n’ont en effet plus la capacité de relever les défis auxquels elles se voient confrontées faute de budget, de personnel nécessaires, etc15. Afin d’augmenter l’efficacité et l’effectivité des services, des économies d’échelle sont souvent proposées mais ces dernières se heurtent rapidement aux limites communales. Certaines politiques, jadis organisées au niveau intracommunal, sont dorénavant organisées au niveau transfrontalier ou au niveau intercommunal: les zones de police, les « centra voor algemeen welzijnswerk » (centres d’aide sociale générale16), les partenariats intercommunaux dans les secteurs de services publics17… Une tendance qui est de plus en plus marquée.
La législation linguistique, et notamment le régime des facilités qui est d’application dans les communes périphériques, peut compliquer la mise en pratique de tels partenariats avec des communes dites linguistiquement homogènes. Dans ces partenariats, les initiateurs se voient souvent confrontés à la question de savoir comment organiser le service aux habitants francophones des communes périphériques. La question n’est pas neuve et déjà dans le passé, l’adjoint du gouverneur fut contactée concernant les soins à domicile, les garderies d’enfants ou encore les maisons de l’emploi. Les acteurs de terrain ont signalé à l’époque que les obligations reprises dans la législation sur l’emploi des langues qui imposent l’organisation de certains services en français constituent un seuil supplémentaire, voire un obstacle aux partenariats entre les communes périphériques et d’autres communes participantes.18
Notes de bas de page:
15 Voir le Groenboek Interne Staatshervorming, à consulter via https://www.vlaanderen.be/nl/publicaties/detail/groenboek-interne-staatshervorming, juillet 2010.
16 "Un centre d'aide sociale générale a comme mission d’organiser à partir d’une unité de gestion et de politique de l’aide et de l’assistance diversifiées et responsables focalisées sur la détection, la prévention, la réduction, la notification et la solution de tous les facteurs qui menacent ou réduisent les chances de bien-être de personnes, de familles ou de groupes de population », Communauté flamande, décret du 8 mai 2009 relatif à l'aide sociale générale, M.B. 8 juillet 2009, art.6.
17 Le partenariat intercommunal en ce qui concerne la collecte des déchets ménagers, la distribution d’eau potable…
18 Voir également dans ce contexte: De Randkrant, “Politiekorpsen bestuderen fusie”, n° 6, juin 2012, p 4-5, à consulter via https://www.randkrant.be/files/rand-krant/2012/randkrant-06-2012.pdf Le chef de corps Luc Breydels de la zone de police Rhode (Drogenbos, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse) est également favorable à l’idée d’une fusion avec d’autres zones de police. Il constate cependant que les autres corps de police ont manifesté peu d’intérêt pour une collaboration avec des corps de police des communes à facilités. « Ik heb ooit een voorstel gedaan aan andere politiezones om samen te werken op niveau van slachtofferbejegening. Als hun agenten hier actief zijn, moeten ze het echter voor 80 procent in het Frans doen en dat is een probleem. Samenwerking met drie Franstalige burgemeesters is evenmin evident. Als faciliteitengemeenten zijn wij derhalve volledig op onszelf aangewezen en moeten wij gelukkig zijn dat de betrokken gemeenten willen blijven investeren zodat wij het hoofd recht kunnen houden’, zegt Breydels.» Het Nieuwsblad, 18/12/2010 – Burgemeester Andries wil Brusselse politie in Wemmel, à consulter via http://www.nieuwsblad.be/cnt/q333uah8 “‘Wemmel zou de andere gemeenten van de zone AMOW een grote dienst bewijzen door voor de politiewerking aan te sluiten bij Brussel. Onze agenten zouden niet langer tweetalig moeten zijn en ook alle kosten voor vertalingen binnen de zone zouden dan wegvallen’, reageert burgemeester Eddie De Block van Merchtem’”.
En 2014, une commune périphérique eut l’intention d’adhérer au Bibliotheeknet Vlaams-Brabant, un partenariat organisé au niveau provincial en vue d’offrir aux citoyens la possibilité de bénéficier des services de chaque bibliothèque affiliée. L’entrée d’une commune périphérique dans un réseau de communes linguistiquement homogènes souleva quelques questions pratiques.
En effet, le réseau de bibliothèques avait développé un modèle de carte d’affiliation avec la mention ‘Ik bevestig kennisgenomen te hebben van de gebruikersreglementen’.19La question fut posée de savoir comment ces cartes de membre pouvaient être adaptées pour rencontrer les conditions imposées par la loi sur l’emploi des langues aux communes périphériques. Le bourgmestre souhaita notamment savoir s’il était possible de remettre aux habitants de sa commune des cartes de membre unilingues en néerlandais ou en français. Il demanda également s’il fallait ajouter aux cartes de membre en néerlandais la mention ‘Franstalige versie verkrijgbaar op aanvraag/Ce document est disponible en français sur simple demande’. Étant donné que l’affiliation à la bibliothèque n’est pas réservée aux habitants de la commune périphérique, il demanda également s’il fallait prévoir 2 sortes de cartes de membre en néerlandais, une sans ‘la phrase des facilités’ pour les habitants des communes linguistiquement homogènes souhaitant devenir membres, une autre avec ladite mention pour les habitants de la commune à facilités.
Selon l’économie de la loi sur l’emploi des langues, la remise d’une carte de bibliothèque doit être qualifiée de ‘rapport avec un particulier’. Cette qualification implique que les habitants de la commune périphérique en question ont en effet droit à une carte en français s’ils le souhaitent. Concrètement, il faut prévoir deux versions des cartes de membre: une en néerlandais, analogue aux cartes remises par les autres bibliothèques participantes et une en français pour les habitants de la commune à facilités qui le souhaitent.
Il ressort de contacts avec des collaborateurs de la cellule Streekgericht Bibliotheekbeleid que les bibliothèques participantes peuvent remplir le recto des cartes de membre comme elles le souhaitent. Le style maison de la province ne doit être appliqué strictement qu’au verso de la carte. La mention ‘Ik bevestig kennis te hebben genomen van de gebruikersreglementen’ peut donc être reprise en français sur les cartes de membre en français.
L’adjoint du gouverneur considère qu’il n’est pas nécessaire de prévoir des cartes avec la mention ‘Franstalige versie verkrijgbaar op aanvraag’, parce que c’est au moment de son inscription comme membre qu’un habitant invoque, le cas échéant, le régime des facilités. Toutefois, lorsqu’un habitant annonce explicitement son souhait d’employer le français, l’adjoint du gouverneur est d’avis qu’il est indiqué de lui remettre un document informatif en français et de lui permettre de confirmer par écrit son choix pour le français. De plus, le règlement de la bibliothèque doit être disponible en français.
De toute façon, pour des raisons techniques, le verso de chaque carte de membre reste en néerlandais. Afin d’éviter des plaintes éventuelles, l’adjoint du gouverneur considère utile de reprendre dans le document informatif en français précité l’information pertinente figurant au verso de la carte de membre.
Selon la cellule Streekgericht Bibliotheekbeleid, les habitants qui le souhaitent, peuvent recevoir les rappels automatiques en français, bien que certaines mentions et liens sur l’interface en français ne soient disponibles qu’en néerlandais. La cellule Streekgericht Bibliotheekbeleid s’attend à ce que la bibliothèque participante s’engage à reprendre sur son site web la traduction française de tous les avis provinciaux qui, également pour des raisons techniques, ne pourront être disponibles qu’en néerlandais pour tous les membres du réseau de bibliothèques.
Note de bas de page:
19 Je confirme avoir pris connaissance des règlements d’utilisation.
Durant l’automne de 2014, l’adjoint du gouverneur fut contactée par une commune périphérique qui voulait savoir si elle pouvait éventuellement diffuser un dépliant en quatre langues dans le cadre d’un projet relatif à l’intégration en collaboration avec un centre communautaire. Conformément aux directives de l’asbl de Rand, le dépliant du centre communautaire en question pouvait uniquement être rédigé en néerlandais ou en quatre langues (néerlandais, français, allemand et anglais). La loi sur l’emploi des langues est stricte quant à l’emploi d’une ou de plusieurs langues. Dans les communes périphériques, les avis et communications sont diffusés en néerlandais et en français, le néerlandais ayant, bien évidemment, la priorité. Dans les communes linguistiquement homogènes, les avis et communications ne sont diffusés qu’en néerlandais. Ce n’est que pour les centres touristiques que la loi sur l’emploi des langues prévoit qu’au moins trois langues peuvent être employées, à condition qu’une procédure déterminée soit suivie.
La Commission permanente de Contrôle linguistique a cependant accepté que les services emploient des langues supplémentaires outre ce cas d’exception, notamment si les avis et communications sont destinés à un public international ou s’ils sont rédigés pour des raisons de santé publique, de sécurité ou d’intégration de groupes de population étrangers. Toutefois, la CPCL pose comme condition d’ajouter aux avis dans une autre langue que le néerlandais la mention ‘Vertaling uit het Nederlands’. La Commission signale également que cela ne peut pas mener à ce que les publications soient structurellement rédigées en d’autres langues que le néerlandais. Sur la base de ce point de vue, l’adjoint du gouverneur a estimé que les dépliants en quatre langues peuvent être justifiés dès le moment où ils stimulent l’intégration mais que l’autorité de contrôle conserve sa marge d’appréciation intacte.
Bien qu’il semble parfois difficile de concilier les différentes réglementations linguistiques en un tout acceptable, la législation linguistique ne constitue pas un obstacle irréductible à la collaboration entre des communes linguistiquement homogènes et des communes à facilités. Les cas précédents montrent qu’une telle collaboration n’a pas pour effet une extension systématique du régime des facilités, et qu’il est toujours possible de trouver une solution conforme à l’esprit de la loi sur l’emploi des langues sans pour autant toucher aux droits des habitants francophones. Compte tenu de la volonté du Gouvernement flamand d’encourager la fusion volontaire des communes, il y a fort à parier que cette matière donnera encore lieu à de nombreuses questions.