Quelles que soient les langues officielles, la Belgique est un pays polyglotte. Dans une société avec une mobilité transfrontalière croissante, les langues utilisées par les habitants dépassent largement le néerlandais, le français et l’allemand.
En pratique, il devient donc de plus en plus difficile d’atteindre tous les citoyens. De temps en temps, la question de savoir s’il est possible d’employer non seulement le néerlandais et le français mais également d’autres langues nous est posée, surtout lorsqu’il s’agit de sécurité ou de participation civile.
Pendant la période couverte par ce rapport d’activités (2014-2015), le service a traité quelques dossiers qui montrent une fois de plus que concilier la législation avec les besoins d’une société polyglotte revient à marcher sur une corde raide.
Voici un aperçu.
Le service Lokaal Beleid en toeleiders de l’Agentschap voor Integratie en Inburgering a souhaité savoir si le CPAS d’une commune périphérique, dans le cadre de la promotion de cours de langue accessibles à tous, pouvait diffuser des dépliants à destination de personnes non-néerlandophones dans une langue autre que le français ou le néerlandais.
La loi sur l’emploi des langues impose en effet des prescrits très stricts quant à l’emploi d’une ou plusieurs langues en fonction du genre de la communication, de la région linguistique où est établi le service concerné et de son domaine d’activité. Aux termes de ladite loi, le CPAS d’une commune périphérique doit diffuser ses dépliants en néerlandais et en français, le néerlandais ayant la priorité.
Dans sa jurisprudence, la Commission permanente de Contrôle linguistique (CPCL) a accepté l’emploi supplémentaire d’autres langues dans des cas particuliers tels que des raisons de santé publique, de sécurité ou d’intégration de personnes allochtones. En l’espèce, l’initiative du CPAS concerné peut s’ajouter à ces exceptions puisqu’elle vise l’intégration de personnes allochtones.
Fin 2005-début 2006 par exemple, la section néerlandophone de la CPCL ne vit pas d’obstacle à ce que le collège des bourgmestre et échevins de Louvain eut diffusé à des destinataires dans une vaste zone autour du bureau de quartier Oud-Centrum Wilsele une lettre informative plurilingue concernant un évènement organisé par le service d’intégration et le bureau de quartier lui-même. «Or, eu égard à l’objectif poursuivi, à savoir la promotion de l’intégration, la SN9 peut admettre que l’invitation soit rédigée également dans d’autres langues.»
Note de bas de page:
9 Section néerlandaise de la Commission permanente de Contrôle linguistique
De même, une lettre d’information diffusée par le Centrum voor Informatie en Samenlevingsopbouw à Anvers et destinée à des entrepreneurs allochtones contenait des traductions très restreintes e.a. en anglais et en turc. Fin 2008, la Commission considéra que cette lettre d’information était conforme à la loi sur l’emploi des langues à condition que ces textes soient précédés de la mention ‘Vertaling uit het Nederlands’ (‘Traduction du néerlandais’).
Dans le même ordre d’idées, le ministre flamand compétent pour l’enseignement de l’époque, Pascal Smet, considéra que des avis en plusieurs langues, ajoutés à la lettre informative électronique ‘Klasse’ ne constituaient pas (sous certaines conditions) une violation de la législation linguistique, puisqu’en l’espèce, le but spécifique du courrier multilingue était de promouvoir l’intégration et les chances de réussite des enfants en associant leurs parents non-néerlandophones à l’enseignement.
Il résulte de ce qui précède que la diffusion de dépliants en plusieurs langues pour promouvoir l’intégration est donc justifiable, à condition qu’il soit tenu compte des lignes de conduite précitées, définies dans le passé par la CPCL. Il va de soi que la marge d’appréciation des autorités de contrôle reste intacte. L’emploi occasionnel de langues autres que celles imposées par la loi sur l’emploi des langues ne peut en aucun cas mener à un multilinguisme de fait.
En 2014, l’administration communale d’une commune périphérique souhaitait informer les citoyens européens résidant dans la commune en question de leurs droits relatifs à la participation aux élections européennes. L’idée était de leur expliquer les conditions et autres dispositions entourant l’exercice de leur droit de vote dans une lettre rédigée en quatre langues, à savoir le néerlandais, le français, l’allemand et l’anglais. Afin d’être certaine d’agir en conformité avec la loi linguistique, la commune s’adressa préalablement à l’adjoint du gouverneur.
L’adjoint du gouverneur répondit qu’en vertu de l’art. 25 de la loi sur l’emploi des langues, les services locaux établis dans des communes périphériques qui nouent des rapports individuels avec les habitants, ne peuvent en principe employer que le néerlandais. Toutefois, compte tenu de la finalité spécifique du courrier et de la nature du groupe cible, elle estima acceptable que la commune ne se limite pas à une lettre unilingue en néerlandais. En effet, l’article 1210 de la Directive concernant les élections européennes11soutient l’emploi immédiat d’autres langues en plus du néerlandais. Il impose aux états membres d’informer les citoyens européens de manière efficace, en temps utile et dans les formes appropriées, des conditions et modalités d’exercice du droit de vote et d’éligibilité.
Dans ce sens, les autorités fédérales12, compétentes pour l’organisation des élections européennes, ont d’ailleurs attiré l’attention des bourgmestres sur l’importance d’une publicité adéquate afin qu’un maximum de citoyens européens puissent exercer leur droit de vote. La circulaire concernée prévoit explicitement la possibilité d’une traduction en plusieurs langues (e.a. l’anglais et l’espagnol) du dépliant concernant le droit de vote pour les élections européennes.
Enfin, l’adjoint du gouverneur s’est également référé à l’avis 40.023 de la CPCL, dans lequel l’emploi de l’anglais, en complément du français et du néerlandais, fut accepté dans des communiqués (également) destinés à un public international.
Notes de bas de page :
10 Article 12: « L’État membre de résidence informe, en temps utile et dans les formes appropriées, les électeurs et éligibles communautaires sur les conditions et modalités d’exercice du droit de vote et d’éligibilité dans cet État.»
11 Directive 93/109/CE du Conseil du 6 décembre 1993, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants.
12 Circulaire ministérielle du 18 octobre 2013 relative à l’inscription des citoyens des États membres de l’Union européenne résidant en Belgique comme électeurs et, le cas échéant, comme candidats, pour l’élection du Parlement européen du dimanche 25 mai 2014, SPF Intérieur, M.B. 22 octobre 2013.
Exceptionnellement, l’emploi de quatre langues dans une lettre destinée aux habitants concernés pour faciliter l’enregistrement pour les élections européennes et le déroulement desdites élections fut donc largement justifié. L’administration communale devait cependant veiller à ce que la priorité du texte néerlandais soit respectée, conformément à la jurisprudence de la CPCL.
Dans le cadre de la planification d’urgence communale, l’administration communale d’une commune périphérique envisageait d’adresser une lettre, accompagnée d’une fiche d’information, aux écoles, crèches et gardiennes d’enfants de la commune. Le but de ce courrier était que ses destinataires remplissent une fiche d’analyse des risques afin que les services communaux puissent avoir une vue sur les plans d’urgence internes. L’enquête en question faisait partie de l’analyse des risques de la planification d’urgence de la commune même. Il était donc important que la commune obtienne un maximum de réponses. Depuis des années, la commune compte en effet des gardiennes néerlandophones et francophones. La commune était particulièrement préoccupée par un manque d’input de la part des gardiennes qui ne maîtrisent pas suffisamment le néerlandais. Pour cette raison, la commune voulait annexer pour ce dernier groupe une traduction française. Conformément à la loi sur l’emploi des langues, le courrier à destination des écoles et des crèches serait en néerlandais. Dès lors, la commune se renseigna près l’adjoint du gouverneur pour savoir si une version de la lettre et de la fiche d’information, sur lesquelles le néerlandais avait d’ailleurs la priorité et qui portaient la mention ‘traduction’, n’allait pas à l’encontre de la législation linguistique.
L’adjoint du gouverneur fut d’avis que, dans le présent dossier, il s’agissait clairement de ce que l’on appelle « un rapport avec un particulier », qui, s’il émane d’un service local d’une commune périphérique, tel que l’administration communale, doit être rédigé en néerlandais s’il est adressé à un habitant de cette commune périphérique. Ce contact peut ensuite être continué en français si un habitant introduit à cet effet une demande explicite auprès de la commune (application de la circulaire Keulen BA-2005/03 du 08/07/200513). Dans ce cas, les gardiennes devraient recevoir l’enquête uniquement en français.
Elle considérait néanmoins que, étant donné que la question s’inscrit dans le cadre d’un plan de sécurité, l’aspect de sécurité ne pouvait être ignoré, sûrement si on est au courant de la connaissance insuffisante du néerlandais de certaines gardiennes. Elle rappelait que, dans le passé, la CPCL14 avait déjà accepté l’emploi d’autres langues en complément des langues prescrites lorsque l’administration s’adresse à un groupe cible très spécifique, pour une occasion incontestablement exceptionnelle concernant une matière liée à la sécurité.
Il va de soi qu’il incombe à la Commission de se prononcer sur des plaintes éventuelles relatives à la procédure prévue par l’administration. L’adjoint du gouverneur considéra que la (double) approche envisagée était équilibrée: d’une part, elle tenait incontestablement compte du statut prioritaire du néerlandais, d’autre part, elle était basée sur les enseignements de la CPCL.
L’adjoint du gouverneur avait donc peu d’objections à l’égard de la suggestion équilibrée de l’administration communale concernée.
Notes de bas de page:
13 Circulaire BA-2005/03 du 8 juillet 2005 relative à l’emploi des langues dans les administrations communales et les CPAS ainsi que dans les structures de coopération intercommunale - Interprétation et effets des arrêts du Conseil d’État du 23 décembre 2004, M.B. 8 août 2005.
14 Voir e.a. CPCL 16/12/2009, avis 41.185.
Pour être complet, signalons encore qu’au moment de l’introduction de la demande d’information, les nouvelles conditions d’autorisation pour les milieux d’accueil pour enfants n’étaient pas encore d’application. En effet, le 1er avril 2014, le décret portant organisation de l’accueil de bébés et de bambins, dont le but est de garantir les normes de qualité uniformes pour tous les milieux d’accueil pour enfants, est entré en vigueur. Une des conditions d’autorisation reprises à l’article 6, §1, 4° de ce décret est la connaissance du néerlandais par le responsable du milieu d’accueil et par au moins un accompagnateur d’enfants. Les milieux d’accueil existants reconnus au 1er avril 2014 ou disposant déjà d’un agrément, d’une permission ou d’un certificat de contrôle, recevaient automatiquement une autorisation, même s’ils ne rencontraient pas les nouvelles exigences (linguistiques). Ils disposaient alors du temps nécessaire pour se mettre en règle. À partir du 1er janvier 2015, tous milieux d’accueil doivent disposer d’une autorisation et, par conséquent, rencontrer la condition relative à la connaissance active du néerlandais.