La loi sur l’emploi des langues en matière administrative régit l'emploi des langues par les services publics. Dans la sphère privée, l'article 30 de la Constitution garantit la liberté linguistique. Bien que le législateur ait également imposé un certain nombre de prescrits linguistiques aux entreprises, notamment quant aux relations sociales entre l'employeur et le travailleur ou quant aux documents imposés par la loi, ces règles ne s’appliquent pas aux relations commerciales entre l’entreprise et ses clients.
En février 2022, il a été demandé à l'adjoint du gouverneur quelles étaient les implications linguistiques du déménagement d'une entreprise située dans une commune wallonne vers une commune périphérique. Le gérant d’une société souhaitait savoir s'il pouvait utiliser le français dans ses contacts avec les autorités publiques en Flandre.
Le déménagement d'une entreprise vers une commune périphérique n'entraîne pas seulement des changements au niveau de la langue qui peut, voire doit être utilisée dans les relations avec les autorités publiques. Le gérant doit également tenir compte de certaines obligations linguistiques qui s’appliquent spécifiquement aux entreprises.
En principe, les services publics situés dans la région de langue néerlandaise n'utilisent que le néerlandais pour les matières administratives. Il en va de même pour les services situés dans les communes à statut linguistique spécial. Les habitants de ces communes peuvent toutefois demander à utiliser le français dans certaines situations. Les entreprises demandent parfois si elles peuvent également bénéficier de ce régime.
Dans le cas présent, il s’agissait d’un déménagement vers une commune périphérique bénéficiant de ce qu’on appelle de grandes facilités.
Les particuliers des communes périphériques peuvent toujours demander d’utiliser le français dans leurs contacts oraux et écrits avec l’administration communale. Cela s’applique aux rapports avec des particuliers (contacts téléphoniques, lettres, e-mails, contacts au guichet…), les permis ou les autorisations et les actes.
La notion ‘particulier’ comprend les personnes physiques et les personnes morales. Dans le cadre de ses activités professionnelles, le gérant peut toujours demander d’utiliser le français dans ses contacts avec l’administration communale.
Les particuliers peuvent invoquer les facilités linguistiques pour leurs contacts avec les services de leur commune, mais pas pour leurs contacts avec les services administratifs d’autres communes de la Région flamande.
La langue administrative de ces services, qui sont actifs dans plusieurs communes, est le néerlandais s’ils sont établis dans une commune flamande.
Les services régionaux qui desservent également une commune à facilités doivent passer à la langue française pour les rapports avec des particuliers habitant cette commune, si ceux-ci le demandent. Il s’agit e.a. de certains services de l’administration fiscale fédérale, tels que le centre PME établi à Louvain (qui est compétent pour la commune périphérique concernée).
Sur la base de l’article 41 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, les services centraux répondent aux particuliers dans leur langue, pour autant qu’il s’agisse d’une des trois langues nationales (néerlandais, français ou allemand). L'exception à cette règle de base, prévue au §2 de l'article précité, concerne les entreprises privées établies dans une commune linguistiquement homogène, et non celles établies dans une commune périphérique.
S’il le souhaite, le gérant peut donc utiliser le français dans sa correspondance avec le siège général de l’ONEM (établi à Bruxelles) ou la Banque-Carrefour des Entreprises.
Les services du gouvernement flamand doivent appliquer les obligations linguistiques de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles (LORI). En principe, ils utilisent le néerlandais. S’ils desservent également des communes à facilités, ils doivent utiliser le français dans leurs contacts (oraux ou écrits) avec les particuliers des communes périphériques sur la demande de ces derniers. Toutefois, suivant les directives du gouvernement flamand reprises dans ses circulaires, un habitant qui souhaite être servi en français doit demander la traduction française de chaque avertissement-extrait de rôle qu'il reçoit du Vlaamse Belastingdienst.
Bien que la demande d’information ne se rapporte qu’aux contacts avec les institutions administratives, l’adjoint du gouverneur a estimé opportun d’évoquer les prescrits de l’article 52 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, cet article ayant sans doute un impact plus important sur les activités professionnelles du gérant. En effet, une entreprise qui s’installe dans une commune périphérique doit utiliser le néerlandais non seulement pour les documents et les actes prescrits par les lois et règlements (les documents officiels), mais également pour les documents destinés au personnel (les relations sociales).
Il s’agit là d’un point important, entre autres pour les contrats de travail et les lettres de licenciement. Si ces documents ne sont pas rédigés dans la langue imposée par la loi, le tribunal compétent peut les déclarer nuls et non avenus. Toutefois, un éventuel déménagement n’entraîne pas la traduction en néerlandais des documents existants. Les nouvelles règles s’appliquent aux documents futurs.
Les fiches de paie et les fiches fiscales tombent elles aussi dans le champ d’application de l’article 52 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative. Dès lors, elles doivent également être rédigées en néerlandais à partir du déménagement vers une commune périphérique.
Le déménagement vers une autre région linguistique entraîne également des conséquences pour la publication (de la modification) des statuts de l’entreprise. Deux situations peuvent se présenter:
Enfin, l’adjoint du gouverneur a attiré l’attention sur le fait que l’emploi des langues dans les relations commerciales avec les clients est libre. Néanmoins, il existe certaines exigences linguistiques pour les mentions (obligatoires) sur les factures obligatoires.
Une entreprise établie dans une commune périphérique peut-elle demander au bureau du SPF Finances à Louvain d’utiliser le français dans les échanges d’e-mails relatifs aux déclarations fiscales ? Cette question a été posée à l’adjoint du gouverneur en janvier 2023. D’après les informations fournies, les e-mails pourraient émaner du centre PME Louvain ou du centre GE Louvain de l'Administration générale de la fiscalité du SPF Finances. Dans les deux cas, l'article 34, §1er de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative devait être appliqué. Conformément au quatrième alinéa de cet article, les services régionaux utilisent dans leurs contacts écrits et oraux avec un particulier la langue imposée aux services locaux du domicile de ce particulier. Sur la base de l'article 25, les services locaux d'une commune périphérique utilisent la langue utilisée par le particulier (pour autant qu’il s’agisse du néerlandais ou du français)
La notion « particulier » comprend également les entreprises privées établies dans une commune périphérique. Les entreprises établies dans une commune périphérique peuvent donc invoquer le régime des facilités.
Il en résulte que les particuliers, y compris les entreprises privées établies dans une commune à facilités, peuvent demander au Centre PME ou au Centre GE à Louvain de passer au français pour les contacts écrits et oraux. Dès lors, une réponse en français à une lettre ou à un e-mail en néerlandais émanant de l’administration, doit être considérée comme une demande d’utiliser le français dans les futurs échanges d’information relatifs au dossier.
En mars 2023, un habitant d’une commune à facilités a demandé si la société chargée de la perception des redevances de stationnement peut laisser une invitation à payer unilingue en néerlandais sur le pare-brise du véhicule. Il voulait également savoir à qui il pouvait s’adresser pour demander la version française de l’invitation à payer : à la société ou à la commune.
La commune a confié le recouvrement de la redevance pour le stationnement sur ses emplacements de parking à une société privée. En vertu de l'article 1er, §1er, 2° LCLA, la société, dans sa qualité de concessionnaire, doit appliquer les règles linguistiques imposées à la commune. Dans les communes périphériques, les rapports avec des particuliers se déroulent dans la langue de ce particulier, pour autant qu’il s’agisse du néerlandais ou du français. Si la langue du particulier n’est pas connue, la langue de la région, à savoir le néerlandais, est utilisée.
Selon la société concernée, l’invitation à payer laissée sur le pare-brise du véhicule est toujours rédigée en néerlandais. Si la redevance n'est pas payée, le propriétaire du véhicule reçoit un rappel de paiement en néerlandais. Encore d'après la société, les registres de la DIV ne reprennent pas toujours la langue de l'utilisateur du véhicule, de sorte que tous les documents sont d'abord envoyés en néerlandais. Une version française peut être demandée via la vignette prévue à cet effet sur le site web de la société, ainsi que par lettre, e-mail ou téléphone.
L'habitant a été informé de la manière dont il pouvait demander le document en français.
En août 2022, un particulier s'est plaint de l’emploi des langues dans une filiale d’une chaîne de supermarchés établie dans une commune périphérique. Les employés de magasin et le responsable de filiale avaient refusé de lui répondre en néerlandais quand il leur demandait des informations sur la disponibilité d'un produit de la gamme du magasin.
Si la loi sur l’emploi des langues en matière administrative impose des obligations linguistiques aux entreprises privées quant aux relations sociales et documents officiels, les relations purement commerciales n'entrent pas dans son champ d'application, celles-ci étant régies par la liberté linguistique garantie par l'article 30 de la Constitution. Les entreprises sont donc libres d'utiliser la langue de leur choix pour leurs relations commerciales telles que la correspondance, les contacts oraux avec les clients et la publicité.
Le plaignant ne pouvait pas s'appuyer sur la loi sur l'emploi des langues en matière administrative pour ses griefs spécifiques. L' adjoint du gouverneur s'est déclarée incompétente.
Ce mécontentement manifesté par le plaignant est ressenti par de nombreux habitants de la Périphérie lorsqu'on ne sait pas les servir en néerlandais dans les magasins et les supermarchés dans leur commune. Il est particulièrement regrettable que les entreprises qui ont choisi de s'établir dans une commune du Brabant flamand négligent le néerlandais dans leurs contacts commerciaux avec les clients. Cette attitude révèle peu d’empathie pour leurs clients et fait preuve d’un manque de sens commercial.
Plus d'un an après, en décembre 2023, le même plaignant a de nouveau exprimé son mécontentement à l'égard de la politique linguistique et de l'attitude du personnel de la même filiale de supermarché. Le récit du plaignant a également révélé que le statut linguistique de la commune périphérique n'était pas correctement connu du personnel, qui ignorait totalement que la commune fait partie intégrante de la région de langue néerlandaise.
L’adjoint du gouverneur a de nouveau constaté que les faits soulevés relevaient du champ d'application de l'article 30 de la Constitution et n'étaient pas régis par la loi sur l’emploi des langues en matière administrative. Elle s'est également déclarée incompétente pour traiter cette plainte. Elle a conseillé au plaignant de s'adresser en premier lieu au responsable de filiale et attiré son attention sur la possibilité de déposer une plainte auprès de l’entreprise au moyen du formulaire de plainte disponible sur son site web.
En novembre 2023 un habitant d’une commune périphérique a voulu savoir si l’emploi du néerlandais est obligé à l’assemblée générale des copropriétaires ou si l’on peut également utiliser le français.
L’adjoint du gouverneur a répondu qu’elle n’était pas compétente pour traiter le dossier, l’emploi des langues à l’assemblée générale des copropriétaires n’entrant pas dans le champ d’application de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative. En effet, les copropriétaires sont en principe des personnes privées et, en outre, il s'agit de relations juridiques dans la sphère privée. Dès lors, l’article 30 de la Constitution, qui garantit le libre usage des langues, s’applique. Cela implique que les copropriétaires sont libres de choisir la langue dans laquelle ils souhaitent s'exprimer à l'assemblée générale des copropriétaires.
La personne concernée ne pouvait pas non plus être référée à une autorité compétente. L'adjoint du gouverneur a attiré son attention sur le fait que, pour des raisons pratiques, il était préférable que les copropriétaires expriment de toute façon de commun accord leur préférence pour une langue véhiculaire afin d'assurer le bon déroulement de l'assemblée générale des copropriétaires qui, en effet, ne doit pas devenir un dialogue de sourds.
Par souci d’exhaustivité, l’adjoint du gouverneur a également référé à l'article 3.96 du Code civil. Cet article dispose que chaque copropriétaire peut demander de tout document émanant de l'association des copropriétaires qui n’est pas rédigé dans la langue de la région dans laquelle la copropriété est située une traduction vers cette langue. Les frais de traduction sont à charge de l'association des copropriétaires.